20/09/2021
Le modèle de l’entreprise motivée uniquement par l’appât du gain a vécu. Elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à se doter de visées philanthropiques. Pour Bouygues Telecom, dont la Fondation s’engage depuis quinze ans auprès des associations dans une optique solidaire, il est logique de s’interroger sur la façon dont les entreprises, à travers leur fondation et leur engagement associatif, porteront demain leurs ambitions philanthropiques. Projetons-nous dans l’avenir pour le découvrir.
Au cours de l’été 2019, dans une lettre cosignée et largement diffusée dans les media, 200 directeurs généraux américains s’attaquaient à la shareholder theory de Milton Friedman, hégémonique depuis les années 1970. Contre l’idée qu’un dirigeant d’entreprise devait uniquement veiller à l’intérêt des actionnaires, ils affirmaient que celui-ci devait également s’assurer que ses actions bénéficient au public, à la société et l’environnement.
Pétition de principes, certes. Il n’empêche : l’idée selon laquelle l’entreprise doit aussi se préoccuper de son impact social a aujourd’hui le vent en poupe, comme le prouve la multiplication des régulations et labels allant dans ce sens. En France, la loi Pacte définit depuis mai 2019 la notion de société à mission. On en comptait 88 dans l’Hexagone fin 2020 : elles pourraient être 10 000 d’ici 2025. Le label américain B-Corp rassemble quant à lui plus de 3 500 entreprises réparties dans 70 pays.
C’est ainsi une nouvelle conception de l’entreprise qui se dessine, plus engagée, consciente de son impact sur la société et son environnement. Comment celle-ci va-t-elle évoluer au cours des trois décennies à venir ? Projetons-nous dans le futur, en 2050, pour le découvrir. Ce travail prospectif a été imaginé grâce à l’expertise d’Anthony Colombani, directeur corporate de Bouygues Telecom et président de la Fondation d’entreprise Bouygues Telecom. Cette fondation mobilise depuis quinze ans les collaborateurs de Bouygues Telecom autour de projets solidaires en lien avec les associations.
En 2050, toutes les entreprises ont désormais une mission
En 2050, l’idée qu’une entreprise puisse se préoccuper uniquement de ses intérêts économiques n’est plus qu’un vestige d’un lointain passé qui s’efface, et l’écrasante majorité d’entre elles sont désormais des entreprises à impact. Affirmer publiquement sa raison d’être, ainsi que plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que l’on souhaite atteindre, va de soi pour la plupart des acteurs économiques, de sorte que la distinction entre la bonne marche des affaires et l’impact socio-environnemental de l’entreprise s’estompe petit à petit.
Inspirée d’initiatives nationales comme le label B-Corp américain et la loi Pacte en France, une certification internationale pour les entreprises à impact a été mise en place par l’ONU en 2035. Elle permet d’identifier les acteurs vertueux et son obtention est devenue pratiquement nécessaire pour les entreprises qui veulent croître rapidement.
En effet, les sondages montrent les uns après les autres que les consommateurs de tous les pays placent l’éthique de l’entreprise loin en tête de leurs préoccupations avant d’effectuer un achat. Elles sont donc fortement incitées à s’engager, ce qui pousse nombre d’entre elles à tisser des liens avec des associations solidaires. Le changement est particulièrement visible dans l’économie numérique. Alors que celle-ci génère désormais plus de 8 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, ses acteurs déploient d’importants efforts pour montrer patte blanche, en usant de leurs propres outils.
Certaines mettent leur cloud à disposition des associations pour leur permettre de stocker et traiter gratuitement leurs données, d’autres les forment à utiliser leurs algorithmes d’intelligence artificielle pour prendre de meilleures décisions. D’autres, enfin, permettent aux associations d’utiliser la réalité virtuelle pour montrer au public l’impact concret de leurs actions. Il peut s’agir d’effectuer une promenade virtuelle dans un espace reboisé, où vivent des singes appartenant à une espèce en voie de disparition, ou encore dans un ancien bidonville où des logements de qualité ont été construits grâce à une action solidaire.
L’uberisation de l'engagement
Ainsi, si le numérique constitue un défi en matière d’impact environnemental, il est également une formidable opportunité. En 2050, les entreprises qui souhaitent s’engager peuvent ainsi également se tourner vers des plateformes de mobilisation citoyenne. Collaborant étroitement avec le milieu associatif, elles aident celui-ci à définir ses besoins.
Certaines se chargent ensuite de recruter des volontaires via leur plateforme en ligne mettant en relation l’offre et la demande, d’autres sondent directement le web à l’aide d’algorithmes d’intelligence artificielle pour trouver des profils désireux de s’engager et susceptibles de correspondre aux besoins des associations, sur le modèle déjà éprouvé pour trouver les meilleurs candidats à un emploi donné. Mieux : à l’aide de contrats intelligents codés dans la blockchain (1), ces volontaires peuvent être recrutés automatiquement, se voir assigner leur mission et se mettre au travail sans qu’un intermédiaire humain ait besoin d’intervenir. Bienvenue à l’ère des plateformes d’engagement autonomes et décentralisées.
C’est ainsi une véritable uberisation de l’engagement associatif qui s’est mise en place, et permet aux entreprises qui souhaitent apporter leur soutien à des associations de facilement recruter des volontaires pour leurs causes fétiches, en travaillant directement avec ces plateformes.
Les incubateurs d’associations font florès
En 2050, la frontière qui sépare l’entreprise du monde associatif est d’ailleurs plutôt ténue, la preuve par les incubateurs d’associations qu’abritent désormais de nombreux acteurs économiques dans leurs locaux. À travers ces structures, les entreprises accompagnent les associations de diverses manières. Financière, d’abord, en assurant une partie de leurs frais de fonctionnement, et en débloquant des fonds pour certains programmes spécifiques.
Mais elles font également bénéficier les associations de leurs locaux, de leur réseau, et leur procurent un accompagnement juridique et opérationnel pour les aider à se lancer dans le grand bain. Enfin, un mécénat de compétence est régulièrement mis en place : que l’association recherche un graphiste pour son site Internet ou un juriste pour publier ses statuts, l’entreprise s’occupe de mettre à sa disposition un collaborateur au profil correspondant et qui désire s’engager. Ces incubateurs permettent également de développer des synergies entre associations et startups, les secondes faisant bénéficier les premières de leur inventivité et de leur expertise technologique. L’incubateur d’associations lancé par Bouygues Telecom 30 ans plus tôt a fait partie des précurseurs.
En 2050, la fondation se fond dans l’entreprise (ou l’inverse)
Reflet de l’hégémonie croissante des entreprises à impact, c’est également la frontière entre l’entreprise et sa fondation qui a de plus en plus tendance à s’affiner, voire à s’estomper. Dans la plupart des cas, la fondation n’est plus extérieure à l’entreprise, mais solidement intégrée dans l’organigramme de cette dernière. Les actions solidaires au sein de l’entreprise ne sont plus seulement menées par la fondation, mais également par des employés de l’entreprise, et les dirigeants de la fondation présentent les résultats de leurs actions au comité d’entreprise.
Si ce rapprochement des deux mondes permet aux entreprises de dédier davantage de ressources à l’engagement solidaire, il accroît également les risques de social washing. Le statut de fondation protège en effet très bien contre cet écueil, en limitant les frais de gestion et de communication qui peuvent être engagés par rapport à un budget donné. Une entreprise n’est pas limitée de la même manière, et l’on voit ainsi certaines multinationales déployer des campagnes de communication au niveau national pour des actions solidaires en réalité très locales. Dans ce contexte, les appels à mettre en place un indicateur international qui mesure l’impact social et environnemental des entreprises, sur le modèle d’indicateurs comptables comme le capex, se multiplient.
En attendant, les consommateurs, qui, pour la plupart, tiennent à tout prix à soutenir des entreprises vertueuses, disposent de nombreux outils technologiques permettant de repérer bons et mauvais acteurs. La blockchain (1) leur permet par exemple de vérifier facilement la chaîne de valeur d’un produit qu’ils achètent et de s’assurer de l’éthique de cette dernière, tandis que les projets d’open data (2) montrant dans quels domaines les fondations d’entreprise investissent, auprès de quelles associations, dans quel objectif et avec quels résultats, ont le vent en poupe. Si les entreprises peuvent être tentées de tricher sur leurs engagements, le social washing, grâce au numérique, ne résiste ainsi plus à un examen approfondi. Certaines prennent d’ailleurs elles-mêmes les devants et mettent en place des systèmes de donations à base de token (3) numériques stockés sur la blockchain, afin de rendre leurs versements financiers aux associations parfaitement traçables et transparents aux yeux du public.
Des fondations dirigées de manière collégiale
Dans un nombre croissant d’entreprises, ce sont en outre les employés et les clients qui choisissent les causes à défendre. Les premiers sont consultés via des appels à projets en interne, et pour entendre la voix des seconds, beaucoup d’entreprises forment leur service client à exposer les causes que l’entreprise souhaite défendre et à proposer à leurs interlocuteurs de choisir l’une d’entre elles. Le traitement des masses de données est également utilisé pour recueillir les préférences des clients via des questionnaires en ligne et orienter les actions de la fondation en fonction de celles-ci. L’entreprise joue ainsi de plus en plus le rôle d’interface entre le public et les associations.
Elle n’est du reste pas la seule à se faire plus discrète (alors qu’elle est dans le même temps plus investie) : les présidents de fondation sont moins directement impliqués, et, plutôt que d’imposer leurs choix et leur vision de l’engagement solidaire, jouent davantage le rôle de chefs d’orchestre, de grands horlogers œuvrant dans l’ombre pour que les différents acteurs se rencontrent et contribuent ensemble à un impact plus positif de l’entreprise sur la société, au travers du monde associatif.
Certaines entreprises poussent cette logique encore plus loin en donnant à leurs salariés les clefs de leur fondation. Dans certains cas, lorsque l’entreprise est de taille suffisamment modeste, les collaborateurs occupent à tour de rôle le poste de directeur de la fondation. Dans les organisations de grande taille, un petit nombre d’employés est régulièrement tiré au sort pour occuper la fonction de manière collégiale durant un temps limité, avant de laisser la place à une autre équipe.
D’autres entreprises se dotent d’un shadow administrateur, une personnalité digitale qui, grâce à des outils numériques de pointe, rassemble les points de vue et préférences de tous les salariés de l’entreprise, afin de faire entendre leur voix. Les employés sont ainsi régulièrement interrogés sur les causes et les associations qui leur tiennent à cœur, ces données sont rassemblées et traitées par des algorithmes, et viennent nourrir une intelligence artificielle qui construit la personnalité du shadow administrateur en fonction de celles-ci. Cette personnalité virtuelle se charge ensuite de piloter les activités de la fondation comme un humain. Sa personnalité et ses actions sont régulièrement ajustées à l’aide de nouvelles consultations effectuées auprès des employés.
Grâce au numérique, l’engagement solidaire des entreprises est ainsi, en 2050, moins le reflet des préférences d’une poignée d’individus, et davantage un portrait fidèle des préoccupations de la société dans son ensemble. Une réalité qui correspond à la vision que promeut Bouygues Telecom depuis sa création.
Lexique :
- Blockchain : base de données numérique qui permet de stocker et d’échanger l’information de manière transparente, décentralisée et sécurisée, sans besoin d’un tiers de confiance ou d’une entité de contrôle, grâce à un mélange de protocoles informatiques et de techniques cryptographiques. Une blockchain peut être publique, auquel cas données et transactions sont également consultables par tout le monde.
- Open data : données auxquelles l’accès est public et libre de droits. Elles peuvent donc être consultées, partagées et exploitées par n’importe qui.
- Token : actif numérique échangeable sur une blockchain.