20/01/2022
Réseaux sociaux, objets connectés, smartphone, réalité augmentée, intelligence artificielle… autant de technologies qui, bien que très récentes à l’échelle de l’histoire humaine, ont, en quelques années profondément transformé notre façon d’interagir les uns avec les autres, de tisser des liens et de faire société. Demain, quelles seront les évolutions techniques qui, à leur tour, changeront nos interactions sociales et notre manière d’être au monde ? Comment la société en sera-t-elle transformée ? Quelles nouvelles manières de s’organiser et de s’engager sont susceptibles d’émerger ?
Cette question, il est naturel que Bouygues Telecom, en tant qu’opérateur de référence depuis 25 ans, se la pose. Voici trois projections à dix ans d’intervalle chacune pour y voir plus clair. Ce travail prospectif a été imaginé sur la base d’un entretien avec Philippe Kerignard, Direction Innovation, Architecture & Gouvernance de la donnée de Bouygues Telecom.
En partenariat avec le média Usbek & Rica
2030 : l’apogée des réseaux sociaux : entre liens et fractures
En 2030, les réseaux sociaux sont plus présents que jamais, permettant au monde d’être davantage interconnecté. Les zones jadis peu couvertes, dont une bonne partie de l’Afrique subsaharienne, le sont désormais grâce aux câbles internet sous-marins qui irriguent le continent et aux constellations de satellites financées par les grands acteurs de la Silicon Valley.
Des dizaines de milliers d’appareils gravitent désormais autour de l’orbite terrestre, contribuant à réduire la fracture numérique à peau de chagrin. Ces satellites constituent dans beaucoup de pays la principale manière d’accéder à la toile et donc de tisser des liens en ligne, accroissant l’emprise des plateformes américaines et chinoises sur le web.
Si les réseaux sociaux ont tenté de se réformer et d’affiner leurs techniques de modération, de nombreux experts continuent de dénoncer leur impact plutôt négatif pour la société et les relations humaines. Les sondages montrent les uns après les autres que les sociétés sont de plus en plus polarisées sur tous les sujets, et notamment la politique. De profondes fractures qui posent des difficultés inédites à l’exercice démocratique.
D’autant que les méthodes de modération de plus en plus sévères et efficaces de Facebook et Twitter en ont exclu de nombreux utilisateurs, qui se sont rabattus vers d’autres réseaux sociaux spécialisés, fermés et plus difficilement contrôlables. Il y a ainsi un éclatement du paysage en une multitude de communautés d’internautes bien distinctes, avec un phénomène de chambre d’écho qui accroît les risques de tribalisation. Par conséquent, à chaque élection les phénomènes d’ingénierie sociale type Cambridge Analytica, jadis exceptionnels, sont désormais monnaie courante, facilités par cette segmentation qui donne des groupes d’internautes faciles à identifier et à cibler.
Notre manière d’interagir et d’être au monde a profondément changé. Il y avait auparavant une scission claire, dualiste entre vie privée et vie publique. Désormais, la question de la sphère privée/publique s’apparente plutôt à un spectre à large bande, à une succession de réseaux sur lesquels nous partageons différents types d’informations plus ou moins privées.
Forts de ce constat, les gouvernements du monde entier mettent en place des régulations sur l’usage des réseaux sociaux pour en limiter l’impact négatif. Dans ce contexte, les opérateurs de télécommunication sont amenés à jouer un rôle important. En effet, l’État n’hésite pas à les solliciter pour concrétiser ses décisions juridiques prises à l’encontre de certains sites jugés dangereux, demandant par exemple, au grand dam des défenseurs d’un internet libre, à ce que certaines URL soient déréférencées pour en rendre l’accès plus difficile. Cependant, les nombreux réseaux sociaux chiffrés et décentralisés échappent dans la pratique à toute tentative de contrôle régalien.
Si les réseaux sociaux ont conquis de nouveaux marchés, ils sont toutefois en perte de vitesse dans les pays les plus développés, où ils font face à une certaine saturation. Une nouvelle génération d’internautes milite ainsi pour un internet socialement et écologiquement responsable, qui donne accès à des services plus apaisés, utiles et au service du bien commun, de l’éducation, du partage du savoir et de la coopération internationale. Un retour aux racines utopiques du premier internet, 40 ans plus tard. On voit ainsi progressivement apparaître des services et des réseaux sociaux inclusifs, accessibles aux séniors et permettant aux personnes en situation de handicap de s’évader virtuellement grâce aux nouvelles technologies qui stimulent les cinq sens.
2040 : l’internet balkanisé : il y en a désormais pour tous les goûts
Après plusieurs cyber attaques sur les infrastructures qui ont paralysé des pays entiers, les gouvernements ont, en 2040, pris conscience de la fragilité des infrastructures du web, et réagi en conséquence. L’intranet chinois (internet fermé), jadis une exception, est désormais la règle : nombre de pays et d’entités géographiques possèdent leurs propres infrastructures et régulations. L’internet mondial est devenu une interconnexion fédérale d’intranets nationaux.
Mais la césure n’est pas seulement géographique. Il y a également différents types d’internet en fonction des préférences des utilisateurs : un internet proche de celui d’aujourd’hui, où tout est gratuit et financé par la publicité, et où des algorithmes collectent et analysent les données des utilisateurs ; un internet bon marché, minimaliste, avec un débit réduit et une faible confidentialité des données personnelles ; un « privinternet » où tout est payant, mais où les données sont très fortement protégées ; un crypto-internet décentralisé, qui s’appuie sur des technologies dérivées de la blockchain ; un web social qui donne la priorité aux messageries entre utilisateurs…
Sur ces espaces virtuels, chacun gère désormais des identités multiples avec dextérité, pilotant différents avatars intelligents et autonomes qui peuvent dans certains cas être actifs 24h/24 et générer des revenus grâce au minage de cryptomonnaies, à des créations artistiques ou encore à la publicité.
Dans son livre « De l’internet aux internets », paru en janvier 2040, le sociologue Louis Klein dresse un bilan en demi-teinte de cette évolution. D’un côté, celle-ci a entraîné une fragmentation du monde commun, de l’idéal universaliste, fédérateur et cosmopolite du web, au profit d’une multiplication des bulles internet à l’intérieur desquelles les internautes interagissent en fonction de leurs préférences personnelles.
De l’autre, la renaissance des utopies née dix ans plus tôt prend de l’ampleur. Elle est toujours au service de relations sociales apaisées et d’une société plus démocratique, avec davantage d’options pour échanger les uns avec les autres et rapprocher les citoyens du monde entier. La traduction en temps réel, qui reproduit la voix de l’internaute tout en retranscrivant ses propos dans la langue de son interlocuteur, offre ainsi un moyen sans précédent d’échanger en s’affranchissant des distances géographiques, linguistiques et culturelles. Ces internets peuvent également plus facilement être mobilisés au service d’initiatives politiques, citoyennes et démocratiques : vote numérique, citoyenneté digitale…
2050 : le métavers permet la multiplication des utopies et communautés en ligne
En 2050, le métavers, un web immersif et réaliste, a pris la place de l’internet tel que nous le connaissons aujourd’hui, concrétisant la vision de Mark Zuckerberg annoncée trente ans plus tôt. Nous y vivons tous plusieurs existences virtuelles, dans lesquelles nous interagissons avec nos proches et avec des inconnus du monde entier.
On s’y rend pour travailler, mener une seconde existence fictive, jouer à toutes sortes de jeux ou simplement échanger avec des amis. Les premiers mariages virtuels officiels y ont même été célébrés. Le métavers constitue une véritable manne financière qui grignote peu à peu l’économie réelle : les PIB en cryptomonnaies cumulés des métavers dépassent depuis déjà 5 ans celui de l’économie physique. On y accède grâce à des lunettes peu invasives, proches des lunettes de vue que l’on porte aujourd’hui, voire de simples lentilles.
Mais l’empire de Mark Zuckerberg est récemment concurrencé par un métavers plus immersif, celui d’Elon Musk, un internet sans interface ni support matériel, sorte de centaure mi-numérique, mi-biologique qui fonctionne grâce à quelques implants neuronaux, permettant à ses utilisateurs d’agir dans le métavers par le simple biais de la pensée.
C’est un web fortement vibrant et communautaire, qui reprend et amplifie les tendances déjà à l’œuvre aujourd’hui dans des jeux vidéo comme Roblox et Fortnite. On y trouve de nombreuses initiatives politiques, des communautés utopiques qui, inspirées par le philosophe français Charles Fourier, ressuscitent les phalanstères du XIXe siècle, au service de communautés solidaires et autogérées, ou encore des tentatives de nouvelles démocraties en ligne… Tout comme il n’y avait plus un, mais des internets, il y a des métavers : centralisés ou décentralisés, publics ou privés…
C’est aussi un web plus sensoriel et émotionnel, où l’on peut bénéficier de ses cinq sens et où il est plus facile d’exprimer ses émotions et de lire celles des autres, tandis que les algorithmes sont également capables d’intelligence émotionnelle. Tout cela permet la mise en place de nouveaux modes d’échange et de communication, ainsi que de nouvelles disciplines artistiques.
Paradoxalement, si la toile est physiquement moins omniprésente qu’elle ne l’est aujourd’hui, grâce à ses interfaces pervasives, elle est aussi plus prenante et plus intrusive psychologiquement, car elle joue sur nos sens et nos émotions. Certains ont ainsi de plus en plus de mal à sauter sans arrêt du monde réel au monde virtuel au cours de la journée. Le cas de Jeffrey Davis, un américain de 25 ans devenu incapable de discerner le métavers de la réalité, a récemment connu un fort impact médiatique car il a mis en lumière la difficulté pour certains à différencier réel et virtuel. De nombreux mouvements prônant la déconnexion se créent, et les initiatives pour rendre la vie plus simple sans le métavers se multiplient, avec un glossaire correspondant (on parle de « Métavers fatigue »).
Conclusion
Au-delà de cette projection amusante et sans aucun doute erronée, il est certain que c’est notre décennie qui orientera nos usages futurs. Nous sommes à un carrefour, et il nous faut choisir collectivement quel internet nous voulons construire.
À travers nos usages quotidiens, nous votons à cette élection, dépouillée par des algorithmes autoréalisateurs, qui dessinent déjà la forme de nos interactions futures. Voulons-nous un internet qui mette en valeur la connaissance, le partage, des échanges constructifs et apaisés, au service du bien commun, ou un univers virtuel addictif où les acteurs seront remplacés par des avatars, les odeurs par des arômes ? Ou mieux, tirer parti du meilleur des deux mondes ? Ce choix est dès aujourd’hui à la portée de nos clics.